Alors que je critiquais pour la énième fois ma famille et mes ancêtres d’être responsables de ma malchance dans ma vie, mon ami Léo me raconta son histoire.
D’aussi loin qu’il se souvient et jusqu’à ses neuf ans, chaque jeudi de chaque semaine, il accompagnait sa mère chez sa grand-tante Iris. Une routine bien installée et incontournable. Il se souvenait peu de sa tante qui parlait davantage à sa mère qu’à lui, mais il appréciait les visites chez elle. Il s’assoyait en leur compagnie et dessinait ou coloriait. Sa tante lui servait un délicieux chocolat chaud fait maison, mais le plus important de tout était la jarre à biscuits sur le comptoir. Il savait qu’elle contenait les meilleurs biscuits qu’il eut jamais goûtés et il savait qu’il aurait droit à trois biscuits. Comment le savait-il ? Cela se passait toujours ainsi. Il ne s’était jamais demandé non plus si la visite chez Iris se ferait ou non, cela allait de soi.
Cependant, vint un jour où il n’y eut pas de visite chez Iris et cette journée-là fut des plus bouleversantes pour Léo. Sa mère lui apprit cette fois-là que tante Iris était partie rejoindre les anges. Il se souvient très bien que trois grandes vérités s’imposèrent à lui ce jour-là.
« Premièrement, même la plus solide des routines n’est pas indéfectible. Deuxièmement, la mort, ça existe même dans ma famille. Troisièmement, je n’aurai plus les biscuits de tante Iris. »
Trois affirmations qui eurent pour conséquence de le mettre en colère à l’intérieur de lui. Il se sentait abandonné et trahi. Il avait demandé à sa maman de lui acheter les mêmes biscuits, mais il apprit ce jour-là que c’est tante Iris qui les confectionnait. Sa mère et sa tante lui avaient créé une routine et maintenant, on la lui arrachait. Sa peine était leur faute, cette colère était là à cause de sa famille.
Avec le temps, il oublia tante Iris, les biscuits et la colère. Enfin, c’est ce qu’il croyait jusqu’à ce qu’il ait l’âge de partir en appartement. C’est alors que sa mère, très émue de cette nouvelle étape, lui remit un paquet. Intrigué, il le déballa et découvrit à l’intérieur la fameuse jarre à biscuits de tante Iris. Dès qu’il la vit, tous ses souvenirs remontèrent à la surface, même l’odeur et le goût des biscuits lui revinrent. Il ouvrit la jarre, s’attendant presque à voir les biscuits, mais seul du papier pour la protéger la remplissait.
« Tante Iris tenait à ce qu’elle te revienne. » Lui expliqua sa mère.
En colère, sans trop savoir pourquoi, il se força à sourire à sa mère et la remercia du cadeau. Une fois chez lui, il rangea le cadeau dans une armoire sans y repenser.
Quelques années plus tard, alors qu’il était dans une impasse de sa vie, à savoir quelles études et quel métier il ferait, il eut envie de faire du ménage et de tout jeter ce dont il ne se servait pas. C’est alors qu’il tomba sur la jarre. Héritage inutile, il allait la mettre dans une boîte à donner, lorsque le couvercle s’ouvrit. Prêt à le remettre, il remarqua au fond du récipient une carte. C’était un message de tante Iris.
« J’étais déjà une vieille tante quand tu m’as connue, donc je ne m’attends pas à ce que tu te souviennes de moi. Par contre, je sais que tu te souviendras de mes biscuits, c’est une recette de famille et je te la transmets aujourd’hui. Tu pourras ainsi perpétuer la recette et je sais que tu es le mieux placé pour le faire. Cependant, il y a un secret qui vient avec ces instructions. Dans chaque recette, de famille ou non, tu auras toujours le droit d’y ajouter ta touche personnelle. »
Voilà la réponse de mon ami pâtissier, réputé pour faire les meilleurs biscuits du monde, à ma plainte contre ma famille. « Il ne tient qu’à toi de mettre ta touche personnelle à la recette qu’on t’aura laissée. »
Histoire « Pour faire du bien » de La plume & l’écorce
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